La maison de la sagesse

دار الحكمة

Al-Moudawwana, Al-Wadiha, Al-‘Attibiyya et Al-Mouwaziyya (Shaykh Mohammad Abou Zahra)

Ibn Khaldoun dit dans Bayan al-koutoub, à propos de la doctrine malikite : ‘Abd al-Malik Ibn Hatib quitta l’Andalousie pour aller recueillir les propos d’Ibn al-Qasim et des gens de son école, après quoi il diffusa la doctrine de Malik en Andalousie, et y rédigea al-Wadiha. Puis al-‘Atabi composa Al-‘atabiya en recourant à ses élèves, et Asad Ibn al-Firat quitta la Tunisie, recueillit d’abord les propos des disciples d’Abou Hanifa, puis, s’orienta vers la doctrine malikite, rapporta les enseignements d’Ibn al-Qasim sur les autres questions de fiqh, et retourna à Kairouan avec son ouvrage qui fut appelé Al-Asadiyya en référence à son auteur. Sahnoun le récita sous le contrôle d’Asad, partit pour l’Orient où il rencontra Ibn al-Qasim, et revint sur de nombreuses questions d’Al-Asadiyya en contradiction avec ce que ce dernier enseignait. Et lorsqu’on lui demanda à Asad d’accepter l’ouvrage de Sahnoun, il refusa, et les gens délaissèrent son oeuvre en se tournant vers la Moudawwana de Shanoun, malgré les confusions qui caractérisaient la présentation des différentes questions à travers ses chapitres. C’est pourquoi on l’appelait aussi Al-Moukhtalita (Le Mélange), et elle devint pour les Kairouanais une référence, comme ce fut le cas d’al-Wadiha, et d’Al-Atabiyya pour les Andalous. Par la suite, Ibn Abou Zayd la condensa dans un ouvrage qu’il intitula Al-Moukhtassar (L’abrégé). Abou Sa’id al-Baradi’i, l’un des faqih de Kairouan en fit de même dans At_tahdhib (L’adaptation), et les grands maitres de Kairouan l’appouverent en abandonnant les autres. De meme, les Andalous agréèrent Al-Atabiyya et délaissèrent Al-Wadiha et les autres. Quant aux savants de la doctrine, ils honorèrent ces monuments du fiqh malikite, par leurs commentaires et leurs éclaircissements, les Tunisiens pour la Moudawwana, comme Ibn Younous, al-Lakhmi, Ibn Mahraz at-Tounsi ou Ibn Bachir. Quand à Ibn Abi Zayd, il regroupa dans son Kitab an-Nawadir (Le livre des exceptions) toutes les questions de fiqh, à propos et autres contenus dans ces ouvrages, et les trésors de la doctrine malikite fructifièrent jusqu’à l’effondrement de l’État de Cordoue et de celui de Kairouan, et les habitants du Maghreb les conservèrent jusqu’à l’apparition du livre d’Abou ‘Amr Ibn al-Hajib dans lequel il condensa les méthodes et les réflexions des malikites sur les diverse questions. (1)

Nous avons là un bon résumé des sources de la doctrine malikite, et de façon dont elles ont été commentées et classées. Nous voudrions cependant faire certaines remarques inspirées de source autorisées en matière d’histoire des doctrines (tabaqat) :

La premiere, c’est qu’il est supposé ici que ce sont les Andalous qui se sont basés sur al-‘Atabiyya, tandis que les Kairouanais auraient agréés la Moudawwana. Or ceci est en contradiction avec ce qu’en dit Ibn Hazm l’andalou, puisqu’il affirme qu’al-Atabiyya jouissait d’une haute considération auprès des savants de Tunisie.

La seconde remarque concerne l’hypothèse selon laquelle des gens comme Ibn Roushd se seraient fondés sur al-Atabiyya pour leurs ouvrages. Or celui-ci affirme dans son livre Al-mouqaddidmat al-moumahhidat (Les préalables aplanis) que c’est la Moudawwana qui est la source de la doctrine malikite, tout le reste la prenant pour base. Il dit à ce propos :

‘Sahnoun alla visiter Ibn al-Qasim, et il lui lut entre autres la Moudawwana et Moukhtalita, qui s’avérèrent être la source de la science malikite, supérieure à tout ce qui avait été écrit aprés le Mouwatta’ de Malik. On raconte même qu’il n’y a pas plus authentique que ce dernier après le Coran, et pas de recueil de fiqh plus utile que la Moudawwana étant pour les faqih ce qu’est Sibawayh pour les grammairiens  le livre d’Euclide pour les mathématiciens, ou la Fatiha pour la prière, dispensant des autres oeuvres de fiqh, tandis que celles-ci n’en dispensent pas.'(2)

Si c’est l’opinion d’ibn Rouchd al-Andalousi concernant la Moudawwa, il est difficile d’affirmer que la référence pour les Andalous était Al-‘Atabiyya, de même que de dire que l’oeuvre d’ibn Rouchd en matière de fiqh s’est fondé sur ce dernier livre, qu’il aurait précisé et condensé.

Et la troisième remarque, c’est qu’Ibn Khaldoun place al-Atabiyya au même niveau de crédibilité et de sérieux que la Moudawwana, comme source de la doctrine malikite, alors que,  si la plupart des savants malikites s’accordent sur la validité de la seconde, nombreux sont ceux qui mettent des doutes des éléments importants contenus dans la première  Mohammad Ibn ‘Abd al-Hakam a dit à ce propos : ‘on m’a amené des textes, d’al-‘Atabi à l’écriture agréable sous le titre d’Al-Moustakhraja, mais je n’y ai trouvé que mensonges, questions sans fondement ou marginales traitées lors de séances et dont les auteurs n’ont pas été identifiés.’ (3)

Quant à Ibn Loubaba, il dit à propos de la rédaction d’Al-moustakhraja par al-‘Atabi : ‘on lui amenait des questions isolées, et si elles lui plaisaient, ils demandaient qu’elles soient intégrées à l’ouvrage. Celui-ci n’est donc pas crédible selon le témoignage des savants les plus surs de la doctrine malikite, à la différence de la Moudawwana. Cette dernière est la seule, comme le dit Ibn Rouchd, à être la source de la science malikite.’

Et la quatrième remarque, c’est que, alors qu’Ibn Khaldoun affirme qu’elle a été appelée Al-Moukhtalita du fait du mélange de ses thème, la réalité est que son auteur a ordonné la plupart d’entre eux, y joignant les opinions des disciples de Malik, comme cela est précisé dans Al-Madarik : ‘Sahnoun l’aborda à sa façon  l’ordonnant en chapitres et l’améliorant, sélectionnant certains débats contradictoires des compagnons de Malik, complétant les chapitres par des hadith et des récits traditionnels, en laissant seulement certaines parties non ordonnées, telles qu’elles étaient au moment de leur transmission orale.’ (4)

Il ressort de qui précède que la Moudawwana est la base sur laquelle s’est fondé le fiqh malikite sous la forme qu’on lui connait aujourd’hui : c’est la source la plus sure, la plus valide au niveau de la transmission. Quand à al-Atabiyya, comme Ibn Khaldoun nomme cette version extraite d’al-Wadiha, elle n’est pas exempte de vices comme le souligne le Qadi Iyyad.

Ibn Rouchd al-Andalousi expose clairement la place importante de la moudawwana chez les malikites. On lit d’ailleurs dans les fatawa de Shaykh ‘Alich, rapporté par d’Abou Mouhammad Salih : ‘Les fatawa ne sont fondées que sur les propos de Malik dans Al-Mouwatta. Si on n’y trouve pas de réponse à une question donnée, alors il faut se référer à ce qu’il dit dans Al-moudawwana, sinon à ce qu’en dit Ibn Al-Qasim dans le meme ouvrage, sinon à ses propos dans un autre livre, sinon à ce qu’en disent les autres dans Al-Moudawwana, et sinon, enfin, aux propos des adeptes de la doctrine.(5)

On rapporte également d’Abou Hassan at-Tanji ces propos : ‘Ce que dit Malik dans al-Moudawwana est plus solide que ce que dit Ibn al-Qasim dans le même ouvrage, car il lui est supérieur, de même que les propos d’Ibn al-Qasim sont plus solides que ceux des autres que lui dans la meme Moudawwana, car il connait mieux qu’eux la doctrine de Malik. Enfin les propos de ces autres dans cet oeuvre sont plus solides que ceux d’Ibn al-Qasim dans d’autres oeuvres, du fait de l’authenticité de cette Moudawwana.'(6)

Il reste à mentionner une quatrième source omise par Ibn Khaldoun, bien que figurant parmi les autre monuments du fiqh malikite : la Mouwaziyya.

Appelée ainsi du nom de son auteur, Mohammad Ibn Ibrahim Ibn Ziyad al-Iskandari, connu sous le surnom d’ibn al-Mawwaz, décédé en 269. On lit dans al-Madarik à ce propos : ‘C’est certes un livre composé par les Malikites, comprenant les questions les plus valides, les propos les plus simples et les plus exhaustifs. Il fut cité par Abou al-Hassan al-Qabasi, qui l’a préféré aux grands ouvrages de référence, en affirmant que son auteur aurait voulu construire les branches de la jurisprudence des adeptes de la doctrine à partir de ses fondements, tandis que d’autres que lui s’étaient contentés de collecter les récits et transmettre le contenu de ce qu’ils avaient entendu : certains mentionnant ses interprétations personnelles, et ses réponses à des questions données, d’autres visant la défense de la doctrine dans le cas de débats contradictoires. Seul Ibn Habib a cherché à construire la doctrine sur des concepts qui s’étaient imposés à lui, se contentant sans doute de quelques récits tels quels, et l’on trouve dans ce livre une partie comprenant des questions qu’il a rapportées de la façon la plus exacte sous le contrôle d’ach-Chafi’i.(7)

Et si nous devions comparer, à partir des remarques d’al-Qabisi et d’autres, les trois livres : Al-Moudawwana, Al-Mouwaziyya et Al-Wadiha écrite par Ibn Habib, et qui fut à l’origine de la partie valide d’ Al-Atabiyya, nous trouverons qu’Al Moudawwana est un recueil de questions et jurisprudence, l’objectifétant de vérifier la validité de la transmission et la crédibilité des propos rapportés, beaucoup plus que de présenter les preuves et de mettre en évidence les fondements des problèmes. Quant à Ibn Habib dans al-Wadiha, il a surtout cherché à en extraire les concepts et fondements sur lesquels la jurisprudence devait se construire. C’est pourquoi ils e contenta de certains récits  son objectif étant de parvenir aux concept (al-ma’ani) perçus dans les jugements, sans s’appesantir sur ces derniers. Dans al-Mouzawiya, enfin l’auteur cherche à rapporter les branches (al-fourou’) aux fondements (al-ousoul), à faire apparaître les justifications (al-adilla) des verdicts (al-ahkam) rapportés dans le fiqh malikite, et ce sur quoi ils s’appuient sur le Coran, la Sunna et les intérets pris en considération par la loi islamique, recourant éventuellement à une comparaison entre fiqh malikite, irakien et chafiite, pour défendre les opinions de Malik.

Il ressort donc de la comparaison que la Moudawwana tire sa place privilégiée dans la littérature du fiqh de la qualité de sa transmission de la doctrine malikite et des propos des rapporteurs.

Source : L’imam Malik, sa vie et son époque et son fiqh par Shaykh Mohammad Abou Zahra

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Notes :

(1). Mouqaddima d’Ibn Khaldoun, p. 245 de l’édition al-Khayriyya.

(2). Al-mouqaddidmat al-moumahhidat, premiere partie, p.87. édition al-Fasi al-Maghribi.

(3). Al-Madarik, section 2, p.238

(4). Al-Amdarik, section 1, p. 675

(5). Les fatawas du Shaykh ‘Alich, première partie, p.61

(6). Les fatawas du Shaykh ‘Alich, première partie, p.61

(7). Al-Madarik, p. 22 de la seconde section, et Ad-Dibaj p. 233.

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